Lettre de Van Gogh
aux collectionneurs
et aux conservateurs de musée
Comme je l’ai écrit une fois à mon frère, le Christ n’aurait jamais pu vivre parmi tant de meubles. La multiplication des meubles est un des grands problèmes de l’homme sur cette terre où d’être saint il n’y a pas la place. La pauvreté est la vocation des saints, et tous les hommes sont voués à la sainteté. Les pauvres !
Les tableaux que j’ai peints sont devenus des meubles. Ce n’est pas ce que voulais, mais c’est ainsi. Qu’ils soient enfermés dans des chambres fortes (comme des fous dangereux) ou suspendus à hauteur d’homme, ils sont des meubles comme les autres, seulement plus chers que les autres, seulement les plus chers du monde, qui encombrent l’homme, qui lui bouchent la vue et qui bouchent l’entrée par laquelle le Fils du Très Haut doit faire son retour incessamment sous peu.
Le Christ ne peut pas vivre parmi tant de meubles. C’est pourquoi je, soussigné Vincent Van Gogh, en pleine possession de mes facultés mentales, vous prie par la présente de les réunir quelque part en tas et d’en faire un feu.
Vôtre,
V.V.G., artiste-peintre