Le passage ci-dessous est extrait d’une lettre écrite par une jeune femme prénommée Maria. Il y a quelques temps déjà qu’elle a trouvé refuge dans un couvent de haute montagne, à l’écart du monde et de ses tribulations, et nous correspondons de loin en loin, comme de vieux amis séparés par un océan. Je n’en dirai pas plus sur elle, ni sur les souvenirs qui nous unissent, sinon que le ton de sa lettre m’a surpris, venant d’une personne que j’ai connue d’un naturel fragile et délicat. Chacun jugera du contenu, qui s’adresse à la majorité d’entre nous. Quant à moi, je ne peux que me réjouir qu’elle ait gardé, dans son voisinage du ciel, assez de place pour quelque chose d’aussi insignifiant que la majorité d’entre nous.
« J’aimerais mettre certaines choses au clair. De là où je suis, elles n’ont rien d’obscur ni de complexe, comme votre pudibonderie a coutume de les peindre, afin de ne pas les voir dans leur nudité. Il y a beaucoup de feuilles de vigne dans vos paroles, il y en a beaucoup dans vos têtes, dans vos croyances, dans vos sciences, et je crois que toutes les causes imaginaires que vous invoquez ne servent qu’à dissimuler une cause unique, une cause réelle, tellement simple, tellement énorme, que cette dissimulation ne tiendra plus longtemps.
Vous vous êtes confinés chez vous parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous avez porté des masques parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous avez tenu à distance votre famille et vos amis parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous vous êtes faits tester et recenser parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous vous êtes faits injecter un sérum expérimental parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous avez fait usage d’un passeport discriminatoire parce qu’on vous a dit de le faire.
Vous avez laissé vos morts sans funérailles, abandonné vos anciens à la solitude la plus sinistre, terrorisé vos enfants avec une maladie qui ne les menaçait pas, altéré leur équilibre mental et gravement endommagé leur croissance, parce qu’on vous a dit de le faire.
Et ce n’est pas tout ! Depuis, vous avez décidé d’ignorer ceux qui tombent à vos côtés des suites de cette expérimentation technologique hautement lucrative et concrètement meurtrière ; vous avez choisi de regarder ailleurs quand des personnes meurent à contretemps, dans la force de l’âge, ou quand elles se suicident de tristesse et de désespoir ; vous avez avalé les explications ridicules que les scélérats vous ont données pour justifier leurs scélératesses ; vous avez fermé les yeux sur la corruption flagrante de toutes les institutions, devenues des associations de malfaiteurs sans foi ni loi, en collusion directe ou indirecte avec les grandes puissances de l’Argent.
Au lieu de vous opposer à l’abomination, vous avez participé à sa diffusion. Au lieu de lutter contre la barbarie, vous vous êtes agenouillés devant son déferlement.
Pourquoi ?
PARCE QU’ON VOUS A DIT DE LE FAIRE.
Et maintenant, que se passe-t-il ? Maintenant – après avoir manifesté une lâcheté si spectaculaire, après avoir craint, plus que la mort, d’affronter le consensus et les commandements abominables, après avoir toléré tant de fables et de mensonges, après avoir systématiquement trahi tout ce qui faisait de vous des personnes humaines – voilà que vous exhibez votre grand courage en soutenant un pays étranger dont vous ne savez rien, voilà que vous bombez le torse en maudissant un autre pays dont vous ne savez rien non plus ! Vous chantez les louanges d’un clown pervers et vous agitez bravement le poing en direction d’un chef d’État lointain qui ne vous a fait aucun mal. Vous célébrez des épouvantails et vous jetez des anathèmes héroïques à l’adresse de fantômes qui ne peuvent vous répondre. Vous vous octroyez le mérite de glorifier ou de haïr des gens dont l’existence vous était indifférente la veille au soir. Vous condamnez l’envahisseur alors que vous êtes envahis de servilité jusqu’à la moelle ! Une fois encore, vous livrez une guerre fictive, comme les guerriers fictifs que vous êtes.
Pourquoi ?
PARCE QU’ON VOUS DIT DE LE FAIRE.
Pauvres de vous ! Vous prétendez défendre l’Amour, l’Humanité, la Liberté, mais vous ne défendez rien. Vous n’avez pas défendu vos propres libertés ni celles de votre prochain quand c’était un devoir et une nécessité de le faire. Vous n’avez pas défendu ce qui restait de votre propre dignité quand il fallait prendre des risques pour la garder à peu près propre. Vous n’avez jamais rien défendu de toute votre vie, hormis des slogans et des mots à majuscule dont la scansion vous dispensait de connaître les réalités qu’ils désignent. Derrière ces mots, vous avez plébiscité l’orgueil, la luxure et la licence, qui ne demandent aucune protection, étant ce qui est plus fort que vos forces, étant ce qui vous domine naturellement, étant ce qui violente et détruit.
Ne croyez pas que nous n’avons rien vu ! Nous avons des yeux, des yeux qui ont vu ce dont vous étiez capables, à quelle vitesse vous vous êtes empressés de faire ce qu’on vous disait de faire, avec quelle précipitation vous avez suivi ce qu’on vous disait de suivre ! Nous savons de quelle étoffe vous êtes faits, nous savons à quels bûchers vous vous chauffez. Vos amabilités et vos civilités, nous les avons pesées. La valeur de la vie parmi vous, nous la connaissons, au centime prêt !
Et comment vous avez abjuré les derniers vestiges de sens commun, comment vous avez recyclé les dernières rognures de charité, et comment, sans aucun remords, vous avez balayé la civilisation hors de vos maisons – résidu d’un temps dépassé !
En vérité, vous n’avez plus aucune légitimité à exprimer une quelconque opinion.
Votre conduite a gagné le droit à notre mépris. Vos prétentions à l’individualité ont perdu le droit à notre respect. Cependant, nous continuerons à respecter la créature divine en vous, malgré vous, que ça vous plaise ou non. Cependant, nous aurons pitié d’elle, aussi dégradée, aussi dégénérée que soit en vous l’image du Créateur !
Oui, c’est ce que nous ferons. Et nous savons très bien que vous n’en tiendrez pas compte. Nous savons que nous serons des témoins de plus en plus gênants, et nous savons que vous vous retournerez tôt ou tard contre nous, pour effacer les preuves de vos turpitudes.
Oui, nous savons que vous finirez par traquer un à un ceux qui ont eu le malheur de plonger un regard dans la laideur de vos cœurs et dans la misère de vos esprits. Et nous savons que si vous ne le faites pas vous-mêmes, vous serez soulagés que d’autres le fassent pour vous, avec l’espérance qu’une telle épuration rallonge le nombre de vos années, vous donnant enfin la paix promise et le bonheur parfait.
Nous savons que c’est ce que vous ferez, que c’est ce que vous laisserez faire.
Ce faisant, vous ne saurez pas ce que vous faites, mais vous le ferez.
Pourquoi ?
PARCE QU’ON VOUS AURA DIT DE LE FAIRE. »
……………………………………………………………………………………………………………….