Marteau des impostures (II)

Bobinologie 

Cher ami,

Je veux te remercier pour la « très jolie » citation que tu m’as envoyée. Il est parfois difficile de distinguer les bons champignons des mauvais, surtout quand ils sont jolis et qu’il sont offerts par quelqu’un qu’on aime. Celui-ci était très mauvais ; puisqu’il est inconcevable que tu aies voulu m’empoisonner, je l’ai pris comme une offrande à ma curiosité pour les fruits vénéneux de l’esprit humain. En ce sens, ce fut un régal, dont j’ai tiré une petite explication de texte, suivie d’une adresse à l’auteur en forme d’ode poétique.

Beaucoup d’affaires quotidiennes t’occupent, et tu n’auras sans doute pas le temps de les lire. C’est dommage, je pense que tu te serais régalé avec moi.

La beauté a puissance de résurrection. Il suffit de voir et d’entendre. C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction” (L’HOMME-JOIE, Christian Bobin).

Telle est la citation, et sérieusement je l’admire, car elle flanque par terre deux mille ans de théologie en trois coups de cuillère à pot. Et au moins autant d’années de catéchèse.

Je pense que tu as vu juste en déclarant que c’était “très joli” : c’est par un instinct très sûr que tu n’as pas dit que c’était “très beau”. Tu as peut-être voulu l’écrire, mais quelque chose t’a retenu. Qu’est-ce en effet que le joli ? Le joli est ce qui arrive à la Beauté quand on la sépare du vrai. Le joli est l’ennemi mortel de la Beauté; c’est la beauté falsifiée, mise au service de l’erreur et réduite à embellir le mensonge. L’auteur de cette citation fait souvent dans le mièvre et dans le crétin; il fait parfois dans le joli quand il a de la chance, mais le joli reste l’ennemi mortel de la Beauté, tout comme les demi-vérités sont les ennemis mortelles de la Vérité. Ces trois petites phrases sont un bijou de fausseté, ce qu’on appelle, en bon français, de la verroterie.

Détaillons l’énoncé :

La beauté a puissance de rédemption“: attention, opération charme. La rédemption par la beauté, c’est le grand jeu. De quelle beauté s’agit-il? De quelle rédemption? On l’ignore. Cela pourrait être le slogan d’un institut de chirurgie esthétique, le racolage d’un prospectus vantant les mérites du lifting. Ou, plus pragmatiquement, les mots doux d’un vieux séducteur à l’oreille d’une jeune coquette.  

Il suffit de voir et d’entendre“. D’accord, mais à une condition expresse que le Christ n’a cessé de rappeler :  avoir des yeux et des oreilles pour voir et pour entendre, ce qui signifie faire usage de son intelligence (“Ecoutez maintenant ceci, peuple fou, et qui n’avez point d’intelligence, qui avez des yeux, et ne voyez point; et qui avez des oreilles, et n’entendez point“). Voir et entendre avec ses sens ne suffit pas: il faut faire usage de sa comprenette, car il s’agit des yeux et des oreilles de l’esprit. Or c’est ce dont s’abstient notre écrivain qui s’occupe de roucouler sensuellement.

Cerise sur la tartufade, la dernière formule surpasse les autres : « C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction ». 1°. Nous avons bien lu : le mal qui nous empêche d’atteindre le Paradis, – autrement dit la perfection céleste -, est la distraction. Si le mal est la distraction, alors le mal est une “disposition à l’étourderie, à l’inattention ou à l’amusement”, pour prendre la définition du dictionnaire. C’est parce qu’il est étourdi et inattentif qu’un menteur, qu’un lâche, que n’importe quel criminel fait ce qu’il fait. Les tueurs ne tuent, les menteurs ne mentent et les lâches ne trahissent que parce qu’ils folâtrent et qu’ils baguenaudent. Uniquement pour cette raison, comme il est précisé. Un violeur d’enfants sera donc tout à fait dans son droit s’il vient dire à la barre: “S’cuse, Votre Honneur, si j’ai égorgée c’te gamine c’est que j’étais dans la lune, moi…”. L’exemple est excellent, car c’est exactement ce que font les coupables, leurs avocats et les sociologues aujourd’hui: diminuer, amoindrir, relativiser, innocenter les crimes, considérés comme des moments d’égarement.

Reprenons. Si c’est par distraction que le Paradis nous est refusé, – et non en raison du péché originel et de ses conséquences –, alors les Dix Commandements sont vains, la Grâce est vaine, la Rédemption du Christ est vaine, l’Eglise est vaine et les sacrements sont vains : la nature humaine est bonne, et il n’y a qu’à suivre aveuglément les conseils de notre bonne volonté et de notre bon « cœur ».

Voici ce qu’un Pape écrivait : “La foi n’est pas un sentiment religieux aveugle qui émerge des ténèbres du subconscient sous la pression du cœur et l’inclination de la volonté moralement informée, mais elle est un véritable assentiment de l’intelligence à la vérité reçue du dehors“. Cette proposition a le mérite d’être claire; elle ne chatouille pas les tympans, je le concède, mais elle se trouve dans une encyclique de 1910 où il était déjà fortement question de ce fléau du pseudo-christianisme qui a commencé avec Fénelon, qui a continué avec Rousseau, qui a connu un pic avec Teilhard de Chardin, et dont notre Bobin n’est qu’un des innombrables avatars languissants, de portée et de qualité inférieures, cela va de soi.

Voyons plus loin encore: lorsque les Apôtres prêchaient le Royaume, prêchaient-ils que nous risquons de ne pas y entrer parce que nous sommes insensibles au Beau, c’est-à-dire hermétiques à l’harmonie, à la symétrie et aux bonnes proportions? Disaient-ils que la résurrection nous sera interdite parce que nous sommes un peu foufous et tête-en-l’air? « Ne vous y trompez pas: ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs (la liste pouvait s’allonger) n’hériteront le royaume de Dieu“. Voilà ce que disaient les Apôtres. Et voilà ce qu’il faut dire. Point à la ligne. 

2° Le petit p utilisé pour Paradis rappelle le petit d utilisé pour Dieu par Victor Hugo dans le poème BOOZ ENDORMI, – concession égalisatrice à l’esprit du temps (“Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu“). Si vous ne croyez pas au Paradis ni à l’Enfer, c’est votre droit le plus légitime et lorsque vous employez ces mots, vous les employez au figuré, avec un p et un e minuscules pour évoquer un grand bonheur ou un grand malheur terrestres. L’auteur emploie-t-il “paradis” au sens fort ou au sens figuré ? Parle-t-il de la béatitude ou parle-t-il du Paradis en soi, c’est-à-dire de l’Eternité et du Bien Absolu? Il ne le sait sans doute pas lui-même, et c’est toute son ambiguïté. S’il s’agit de l’Eternité, qu’est-ce que cette idée d’entrer au paradis de son vivant? De deux choses l’une, soit le Royaume est dans l’Au-delà, soit il est ici-bas. Tout le reste est refus de la transcendance, négation du monde invisible, naturalisation du surnaturel, appel à l’avènement du Paradis sur terre par des moyens humains, désir de glorifier “tout ce qu’il y a de divin en l’homme” au détriment de Dieu et des Mystères. 

Compte tenu de ce raisonnement, je propose une citation rectifiée: 

 L’hypocrisie a puissance de néant. Il ne suffit pas de voir et d’entendre. C’est parce qu’on veut se flatter soi-même en flattant son auditeur qu’on parle du Paradis et qu’on finit en Enfer, uniquement par flatterie

*

Mon cher ami, si tu n’étais pas chrétien, tu pourrais dire que tout cela ne te concerne pas, et tu aurais raison. Mais tu es chrétien : c’est mon devoir de t’avertir des dangers de la bobinisation : une combinaison de moraline et d’esthétisme niais qui s’empare des brebis quand elles perdent la Raison.

J’ai déjà essayé de lire Bobin Christian, ou plutôt Bobard Chrétien, mais cela s’est révélé au-dessus de mes forces. Je me suis surtout coltiné la bobinolâtrie de certaines créatures qui ne juraient que par ce spray sulpicien pour désodoriser leur âme. C’est grâce à elles que j’ai compris que j’étais bobino-réfractaire et que je souffrais de bobarophobie. Ce qui est amusant, c’est que Saint Paul en souffrait aussi. “Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs” (Épître à Timothée, II, 4-3). 

Pour en terminer avec le monsieur, disons que son style reflète une personnalité qui me rebute au plus haut point. Sirupeux, obséquieux, sentencieux sans vigueur, prédicant sans vision, et pas la moindre base philosophique ou théologique sérieuse. Il est à la Religion Vraie ce qu’Yves Duteil est à Mozart et ce que Marc Lévy est à Balzac ; ce qui est grave, c’est qu’il dégoûterait du religieux avec son talent pour vider de leur sang tous les mots sacrés auxquels il touche. Capable de sortir un cliché bien tourné et d’enfiler une dizaine d’âneries plus grosses que lui sans broncher, il hérétise comme il respire. Nous avons affaire à quelqu’un qui n’hésite pas à faire imprimer des choses comme : “Si éclairants soient les grands textes, ils donnent moins de lumière que les premiers flocons de neige” (!)… ou mieux encore “Les hommes tiennent le monde. Les mères tiennent l’éternel qui tient le monde et les hommes” (!!! La grognasse qui blablate dans son portable en traînant une poussette Graco dans les rayons de Carrefour tient-elle vraiment l’Eternel ? Opposer les Hommes aux Mères, est-ce une distinction anthropologique ou un scénario d’heroic-fantasy ?). Nous sommes dans le marketing bien ciblé, niche première et deuxième sections maternelle, la clientèle des nounous et des mamans, grandes acheteuses de livres comme on sait. 

Comme il y a de faux-prophètes, Christian Bobin est un faux-apôtre. Isolant certaines paroles du Christ et ne prenant que ce qui l’arrange, il les falsifie pour propager l’erreur de Tolstoï à la fin de sa vie, ce qui donne “LE ROYAUME DES CIEUX EST EN VOUS ET IL N’EST QUE LA“, c’est-à-dire le biblique et l’évangélique réduits à un gentillet bréviaire de quiétisme, à un manuel de coaching bouddhisto-compatible, à une mythologie pleine de “symboles” qui renvoient tous à l’ici et au maintenant.

*

Enfin, cher ami, et comme prévu, chantons ensemble:

Troubadour des esprits mous,

lèche-cœur professionnel,

chaufferette du pharisien,

mystique de Prisunic

(s’il y avait encore des Prisunic et des mystiques),

biberon du gauchisme catho,

tétine du prolétariat moral,

pornographe de la sainteté,

calotin qui prend les auréoles pour des brushings,

toi qui t’appellerais Saint Gnian-Gnian

si on canonisait les tisanes,

toi que Saint François d’Assise

aurait donné en pâture à nos frères rampants

après t’avoir bouilli, séché et mis à dégorger

afin que les lombrics ne bavassent point du sucre,

que dis-je du sucre,

car tu voudrais croire et faire croire

qu’on peut saler la vie avec de l’aspartame,

toi qui t’autorises à parler

non comme un Repentant

mais comme si tu étais le pote à Jésus,

toi qui es soit le plus ignorant des hommes,

soit l’une des formes que chausse le diable

pour nous convaincre qu’il n’existe pas,

Antéchrist câlin,

incarnation de la Solution Finale du christianisme,

Chambre à Gaz arôme fraise-vanille

où seront asphyxiés les derniers restes de dignité humaine

avec les ultimes vestiges de virilité spirituelle,

Ô Redondant Distrait du Baptême

(“Mince, j’ai encore oublié les 7 péchés capitaux

et les 4 vertus cardinales“),

nous sommes navrés,

mais nous ne mangeons pas 

ta confiture.